lundi 13 août 2012

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Quand Jean m'a tiré du lit, je n'y croyais pas. J'étais confortablement
installée dans mon sac de couchage, comme dans un cocon, zippée jusqu'au
menton, j'avais enfin bordé le collet autour de mon visage d'une façon
quasi parfaite pour y conserver toute ma chaleur. J'avais l'impression d'
être réveillée depuis seulement quelques minutes mais en fait j'y rêvassais
depuis deux longues heures et là, il fallait me lever pour retrouver le
cockpit. Triste.

À l'extérieur, Jean m'attendait avec 25 nœuds de vent et deux ris à
prendre. Un ris dans le génois et un second dans la Grand-voile. Manœuvres
à mi-éveillée. Au même moment où Jean, à l'avant, me fait signe de choquer
la drisse, une vague énorme l'a atteint sur le pont. Béate devant ce
spectacle, prise au piège par la lenteur de mon esprit fatigué, n'imaginant
pas la suite, la vague me rejoignait aussi rapidement par le pont à
tribord. Bottes, gans et salopettes pleines d'eau, maintenant bien
réveillée, c'est saisie par le choc que j'ai commencé mes manœuvres.

En voyant Jean revenir dans le cockpit tout trempé, j'étais embêtée par mon
état mais vu sa situation, j'ai oublié le projet de me faire bouillir une
chaude chicoré. Bientôt glacée, j'ai écouté Jean me donner ses instructions
précises. Nouvelle tâche assez préoccupante à l'approche du Groenland; voir
aux bourguignons et aux icebergs. Nous sommes définitivement dans une zone
très dangereuse. « Ok Jean, mais qu'est ce que ca fait un bourguignon à
part de m'ouvrir l'appétit? » Les bourguignons sont les petits de l'
iceberg, des dangereux glaçons qui devraient nous apparaitre par troupeaux
et qui pourraient même faire une voie d'eau s'ils venaient à percuter la
coque. En réponse à ma question quant à leur taille, Jean y est allé d'une
comparaison aussi insolite qu'inattendue « C'est gros comme une petite
voiture » en terminant avec « et ca va avancer très vite avec ce vent, donc
si t'en aperçois, tu vires pour éviter. »

Perplexe et congelée, j'ai entamé mon quart à la barre en ayant retenu le
nécessaire : je verrais ces bour-gui-gnons, gros comme des petites
voitures, foncer sur nous par tribord… humm. J'ai alors balayé des yeux la
zone dangereuse et bien visible à cette heure là; une superficie jusqu'à
environ 2 miles nautiques au nord et ce sur le prochain mile devant.

J'ai vu des vagues se casser à tout rompre sur la coque et sur le pont, j'
ai vu le bateau refuser de rester en travers du vent, j'ai vu l'anémomètre
monter à 27, j'ai vu des tons de turquoise apparaître dans la crête des
vagues avant de voir les vagues se casser sur elles-mêmes, j'ai enfin vu le
soleil se lever dans une mer moins agitée, j'ai vu bien des vagues mais
rien en elles ne pouvait ressembler ni à une voiture, ni a un quelconque
glaçon.

Malgré mon état d'hypothermie avancée, j'étais heureuse de laisser l'
équipage petit-déjeuner pour m'assurer un relai disposé avant de rentrer
manger et faire un cocon de moi sur ma bannette. Après 5h au poste à
grelots, j'ai mis enfin mes mains près du feu et fait bouillir l'eau pour
ma chicorée… J'appréciais de retrouver les sensations au bout de mes
doigts, pareil aux picotements qu'on ressent après quelques descentes de
trop en ski. Je me disais que ca me prendrait tout un glaçon pour me faire
ressortir à l'extérieur.

Devant le poêle, j'entendais Antoine rigoler depuis l'extérieur et me
lancer : « Mylène, t'as pas vu la terre? »

Antoine donc, maintenant Fanny, et ensuite Jean, tous dehord à s'exclamer
que le Groenland est grand, que le Groenland est là, que le Groenland est
beau et que je devrais sortir pour voir ça.

Trop occupée à ne chercher que des bourguignons de mes yeux fatigués, j'
avais concentré toute mon énergie aux deux prochains miles nautiques sans
voir plus loin!

Après avoir avalé mon déjeuner en vitesse, je suis ressortie passer la
journée sur le pont découvrir les majestueuses falaises pourpres et
tranchantes qui poignent à l'horizon. Plus tard, je découvrais des dizaines
de petits bourguignon, qui en somme, ont l'air bien moins offensif sur une
mer calme et sereine que dans mes projections mentales sur fond de nuit
froide et de mer creusée par le vent.

3 commentaires:

  1. Bonjour Mme Pacquette,

    je viens de découvrir votre blogue et votre site web. Et je vous envois toute mon énergie. Votre projet est ambitieux et très respectable. J'aime! Je suivrais votre aventure jusqu'à la fin.

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  2. Bonjour Mylène,

    C’est juste en sortant du Massai Mara que je retrouve votre blog.

    Quel plaisir de redécouvrir votre art de l’écriture. On y voit clairement votre aptitude
    à savourer chaque moment; chaque événement. C’est peut-être çà qu’on
    appelle ”le talent pour le bonheur”

    Vous voilà de retour en mer, sur un voilier cette fois-ci.
    Certains croient peut-être qu’en grossissant votre embarcation,
    vous vous fondez dans ces images publicitaires qui montrent les navigateurs
    en train de se faire bronzer au soleil, un verre de champagne à la main.

    La réalité est toute autre: la navigation à la voile a vite fait de nous amener à nos limites
    tout en exigeant de nous le meilleur.
    Vos descriptions en témoignent avec éloquence et j’abonde dans le même sens:

    - Tenir la barre en ramenant l’oeil sur le compas à toutes les 3 secondes
    pour garder le cap parce que le voilier bouge trop;
    - ”faire du skidoo dans les grosses vagues” pour éviter les déferlantes;
    - virer pour ne pas sauter sur la crête d’une vague et retomber en bas
    dans un tel fracas qu’on dirait que le bateau va éclater en deux;
    Mais aussi...
    - savourer les moments de beau temps;
    - goûter un bon breuvage chaud;
    - réussir une navigation assez précise pour nous faire découvrir une petite ile visée.

    Que de moments fabuleux qui ne sont accessibles qu’au prix du courage.

    Je vous souhaite bienvenue dans ce nouveau type d’aventure.
    Vous y êtes à votre place.

    GT

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    1. Bonjour GT et Bonjour Alexandre,

      Merci pour vos commentaires, c'est tout simplement que je vous transmet mes expériences et je vous remercie de votre intérêt à me lire et apprécier à votre façon mon voyage par l'entremise de la lecture de ce petit blog.

      J'essaie de transmettre le merveilleux de ces aventures et surtout mes impressions de tous ces petits bonheur qui font des moments en mer un milieu si riche et tellement ancré dans le présent.

      Merci d'animer mon blog par vos échos et votre couleur qui me font chaud au cœur... après tant de semaine à se les geler!

      Mylène

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