dimanche 12 août 2012

Calculs et temps perdu

À défaut de vent ou à fort vent contraire, on choisi souvent de prendre le
taureau par les cornes et de tourner la clé dans le canon pour démarrer le
moteur. Durant ces périodes, je peux enfin tout remettre sur courant
électrique; Ipod, Iphone, téléphone satellite, appareils photo et
ordinateur. Résultat : je suis la seule ici à être heureuse d'entendre
repartir le son des explosions et les mouvements des pistons!

Malgré tout, après avoir écrit, envoyé et reçu mes courriels, lu, mangé,
regardé et relu mes trente messages textes préférés sur le petit écran de
mon téléphone satellite, je me demande bien souvent quoi faire d'autre.

C'est souvent ces moments que j'espère le plus : retrouver l'ennui. Parce
que je ne m'ennuie pas, moi. Non, je ne m'ennuie presque jamais. Et c'est
souvent quand l'ennuie frise à mes lèvres l'envie de se plaindre que je
découvre quelque chose de nouveau, de beau, de différent…

Aujourd'hui, j'observe les vagues. Ce matin et la nuit dernière, c'était
plutôt des murs d'eau, des mastodontes, des monuments que le bateau
embrassait lentement pour aller s'affaisser de l'autre coté, violemment.
Maintenant c'est une mer transformation. Comme le grand vent d'Ouest s'est
tu et qu'un vent du Nord est attendu d'ici quelques heures, la mer se
transforme sous nos yeux. J'essaie donc de comprendre de quelle formation
la houle nous vient et par quel autre système les nouvelles vagues sont
creusées puisqu'elles vont et viennent de toute part et de tous les cotés.

Entre temps, je joue à essayer de deviner dans quelle direction se trouve
l'Espagne, la Barbade, les Acores ou le détroit de Belle-Isle et je vérifie
sur le GPS si je ne me suis pas trompée d'un poil. Je compte et décompte
les 360 degrés qui entourent ma boussole, en soustrais 180 du total pour
deviner le cap que j'aurais à ramer pour atteindre ces destinations.

Je compte les miles nautiques. J'essaie de deviner l'heure de notre arrivée
mardi : matin… midi? Il ne reste que 130 miles nautiques avant la terre
ferme, l'équivalent d'un voyage à la voile Gaspé-Havre-Aubert aux Îles-de-
la-Madeleine. Et 220 miles nautiques avant Qaqortoq, notre premier arrêt.
Je compte la vitesse de coque que me donne le loch, j'y calcule les heures
à venir à moteur en prenant soin de ne pas compter à partir de l'heure de
notre rendez-vous avec le vent, je multiplie le temps fois la distance. Je
compte et lance des chiffres à la volée.

Je regarde les oiseaux voler, j'imagine qu'ils nous observent. J'essai de
les reconnaitre et les différencier, et encore de les compter… Ils sont
entre dix et quinze, ils bougent et se cachent derrière les vagues pendant
que moi je désespère d'en connaitre le produit final.

Le soleil arrive, j'appuie sur « send » et ne me reste plus qu'à aller me
vautrer dans le foc sur le pont avant pour terminer mes calculs et attendre
le vent. Je savoure chaque moment, je n'ai rien d'autre à faire que de
regarder l'océan et me soustraire à la longueur du temps.

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