mardi 18 septembre 2012

Montréal sous la pluie


Il me fallait un jour comme en mer, humide et frais, pour me donner le gout d’écrire. Après notre arrivée à Matane le 9 septembre dernier, les choses se sont précipitées et j’ai tardé à coucher mes impressions sur clavier. Sitôt arrivée à Rimouski, chez mon grand ami Hermel, le jour de mon débarquement sur la terre ferme, j’ai été catapultée dans une autre dimension; la réfection de mon bateau à rame océanique. Mon embarcation à rame océanique à changé de tête et à mon premier coup d’œil; moi aussi. Avec toutes ces surprises, ces modifications et son allure si fière, j’en avais presque oublié la dernière semaine de navigation à bord de Namasté. 

Depuis le détroit de Belle Isle, il s’en était bien passé des choses. D’abord une mauvaise météo nous avait forcés non seulement à nous amarrer solidement au ponton de l’Anse-au-Meadows à Terre-Neuve mais aussi mouiller deux ancres supplémentaires comme le ponton lui-même menaçait de céder. L’une des deux poutres d’acier qui retenait le quai à la terre ferme était complètement décrochée et n’avait pas résisté aux derniers coups de vents. Ensuite au Labrador, Red Bay, nous avait offert un abri beaucoup plus sécuritaire. L’escale suivant nous avait permis de faire la rencontre de Charles Kavanagh à Havre-Saint-Pierre et ensuite avec son équipe tout près de l’Île aux Perroquets dans l’archipel de Mingan. Charles est de ce type de rencontres que l’on oubli pas, un homme généreux de son vécu par ses histoires et ses aventures, un sens de la communication qui relève presque du conte et une passion contagieuse dès le premier échange. Après Havre Saint-Pierre; cap sur Rimouski. Enfin sous mes pieds, le Saint-Laurent comme je le connaissais; des cétacés, des marsouins, des loups-marins et une végétation abondante. Du vent doux, du vent frais, du vent de face comme on y était habitués, du vent de travers et du portant nous ayant permis de sortir de spi, de le rentrer parce que ca soufflait trop, le ressortir et ne pas le rentrer assez tôt pour le déchirer sur un coup de vent. Pour notre dernière nuit; on annonçait des rafales à 25,30 et même 35 nœuds… Sud-ouest. On avait commencé la traversée vent de face pour la terminer 42 jours plus tard de la même façon. Des rafales de 50 nœuds nous ont obligés de faire escale à Matane aux petites heures du matin. 

Mon périple sur Namasté s’est donc terminé à Matane. J’ai donc quitté Jean et Antoine avec la visite de mon ami Delphis Bélanger et un parcours par autobus jusqu’à Rimouski pour rejoindre mon océanique et mes amis les Lavoie.  

Déjà à Montréal, la ville gronde et m’enveloppe par son rythme dynamique et rapide. Le travail en vue de ma traversée à la rame m’acharne déjà depuis une semaine. Attablée au travail, mes yeux sont déjà rivés à mon calendrier tant pour compter les semaines qui me sépare de l’aventure que pour vérifier le temps qui reste pour réaliser toutes ces taches en vue du départ. Parce que l’aventure, c’est aussi ca : la préparation longue et ardue.

jeudi 30 août 2012

Cap sur Belle Isle

Enfin l'horizon. On peut enfin apercevoir la lune, son reflet sur les
vagues, des nuages à perte de vue, le ciel et ses étoiles. Depuis notre
départ de la France, il y a maintenant un mois, nous avions très rarement
eu droit au spectacle d'un coucher de soleil ou encore à celui d'une nuit
d'étoiles. Enfin ici, je me sens sur l'océan et pourtant nous ne sommes
qu'à 35 miles nautiques à l'est des cotes labradoriennes.

Aujourd'hui, nous avons vu quelques dauphins nager autour de nous, courir
sous la coque et passer devant l'étrave rapidement pour ensuite disparaitre
dans les profondeurs de l'océan. L'eau est si claire et limpide qu'on peut
deviner leurs petits yeux sous la surface à quelques pieds plus bas. À
chaque fois, le spectacle est excellent!

Le vent a pour sa part décidé de nous donner un peu de puissance, lui qui
s'était tu depuis le passage de la dépression cette semaine, après avoir
soufflé sur nous des rafales à 35 nœuds, il s'était ensuite calmé très
doucement pour donner du 4, 5… 6 nœuds et nous laisser d'autre choix que
d'utiliser l'engin mécanique à diesel qui nous permet d'avancer quand le
vent boude nos voiles.

Cette semaine, petit bémol à bord : le pain a disparu! Durant nos courses à
Nuuk, après avoir été chez le boulanger et avoir soigneusement choisi de
beaux pains frais, on a oublié le sac à pain sur comptoir caisse au marché…
Merci à Claire de nous avoir fait parvenir une recette de pain. Les jours
calmes de cette semaine m'ont donc permis de tester une recette de pain au
presto… et sans levure! Je vous laisse imaginer le résultat…

Bientôt donc, à nous la découverte de notre merveilleux Saint-Laurent et
les provinces maritimes. Dans moins de 125 miles nautiques; le détroit de
Belle Isle et ensuite le village de L'Anse-au-Medows situé à la pointe
Nord-est de Terre-Neuve avec ses vestiges de villages Vikings!

À suivre…

mercredi 22 août 2012

Nuuk, Nuuk, Nuuk!!!!

Surexcitée. J'étais surexcitée! En me levant ce matin, j'entendais des grues et des machines, des camions juste au port à coté… la ville quoi! Nuuk : 16 000 habitants et on l'espérais tant; autant de sourires, du bon café et des réseaux sans fil!

Pas que j'aime la ville plus que la mer mais depuis Quakartoq, comme on n'a pas eu beaucoup accès à la civilisation, j'étais vraiment impatiente à revoir la vie grouiller partout autour de nous. Arrivés la nuit dernière, encore dans un brouillard à tailler au couteau, ce n'est que ca matin qu'on a pu découvrir Nuuk. Nous nous sommes levés ce matin dans l'attente de rencontrer les douanes… après deux heures d'attente; Rien. Impatiente, j'ai marché sur les baleiniers à l'épaule, visité le quai de son extrémité à la guérite de sécurité en barbelés.

La vielle, lors de notre visite à Ravns Storø, camp de pêche abandonné par des pécheurs des Îles Faroés,  à bout de quelques manœuvres on a réussis à amarrer Namasté à un vieux quai chancelant. Jean et Antoine sont partis à la découverte des vieilles cabanes abandonnées, de notre coté, Fanny et moi, sommes parties à l'assaut des monticules et des vallées. Après avoir atteint le sommet d'une tour de communication. Je me la suis jouée telle une espionne dans un long métrage de James Bond en inspectant une zone interdite. L'endroit abritait les bâtiments d'un relai radio avec ses écriteaux et avertissements à la soviétique partout. Autour des bâtisses mal entretenues, il y avait deux pistes d'atterrissage à hélico, des génératrices, des bâtiments vandalisés, des batteries et du matériel sans dessus dessous. C'était glauque, comme si ca avait été laissé après un attenta… 

Durant notre balade, le lichen était toujours aussi accueillant sous nos pieds et les bleuets aussi savoureux bien qu'en moins grande quantité qu'à Paamiut, village visité la vieille. C'est toujours aussi surprenant à nos yeux qu'aucun mammifère ne semble profiter de l'énorme quantité de fruits présents ici. Bien qu'on ait aperçu quelques chèvres de montagnes depuis notre arrivé en sol Danois, leur absence impressionne autant que la quantité de fruits sauvage présents. Après avoir usé nos voix pour entendre notre écho au creux des montagnes vides et vacantes, on a entendu Antoine à l'aide. Namasté s'était retrouvé mal en point suite à la marée montante et donc prise au piège en dessous du quai inhospitalier.

Nuuk, c'est très beau. Dépaysement total!

 

lundi 20 août 2012

Compte rendu Groenlandais

Après trois jours à Qaqortoq, il était temps de larguer les amarres et
découvrir d'autres villages. Narsaq a cependant été beaucoup moins
accueillante que le premier village. Souriants, on recevait l'information
qui vantait Qaqortoq comme étant la ville la plus mignonne du Groenland.
C'est avec regret que j'y repense aujourd'hui, car selon nous, c'était bien
vrai! Quqortoq était vraiment très belle avec toutes ses petites maisons
multicolores, ses chemins escarpés entre les propriétés, ses petits
commerces, son église et son joli cimetière…

Un petit détour de quelques heures depuis Narsaq nous a permis d'aller voir
la calotte glaciaire de très près. En avançant entre les glaciers, cette
journée là, j'étais très heureuse de barrer. Après les quelques mises au
point faites la veille avec l'équipage, c'était mon meilleur moment depuis
Noirmoutier. Mon bonheur a atteint son comble après que le capitaine eu
proposé de descendre sur un glacier. En déposant nos pieds sur cette énorme
structure de glace, j'avais quelques doutes… est-ce qu'on peut glisser dans
les petits canaux de glace au travers, est-ce qu'on peut se revirer, tomber
dans l'eau? Sous mes pieds, je ressentais la fraicheur de la glace, je
sentais le mouvement du glacier sur l'eau, je sentais les clapotis de Namasté
qui tournait autour de nous pour faire des images. C'était vraiment magique
d'être là, sur cet énorme bloc et glace et de partager ce moment là avec
Fanny et Antoine.

Après plus de 34 heures de navigation dans un brouillard à tailler au
couteau et une nuit à faire nos quarts en double pour bien appercevoir les
glaciers et leurs petits, on a enfin atteint Paamiut. Trois Inuits curieux
nous observaient à partir du ponton plus haut. Après quelques échanges
maladroits pour tenter de converser avec nous et répondre à nos questions
au sujet du village, les seuls mots que nous avons retenus de leur discours
étaient : « Mini McDo » accompagnés d'une direction. Cheezeburgers! Loin
d'être une filiale de la chaine, le petit restaurant nous a servi bien
difficilement le sandwich végétarien que Jean avait tant de mal à leur
expliquer.

Après quoi Fanny et moi avons passé deux heures à gravir et descendre des
monticules et des vallées autour du village pour apercevoir l'horizon dans
la brume. Jamais je n'avais senti une végétation aussi luxuriante et riche
sous mes pieds. Que du lichen, des baies, de tous petits arbustes, de la
mousse et des bleuets. On est au pays vert, j'oubliais! J'avais peine à ne
pas marcher sur des fruits mais à la quantité présente au mètre carré, c'
était impossible de ne pas les écraser sous nos pas. En étant très attentive,
j'entendais et je sentais les fruits éclater sous la pression de mes pieds.
Pour étancher la soif, il suffisait de quelques secondes pour prendre une
poignée de baies sauvages et se sentir rassasiée.

Depuis très tôt ce matin, nous faisons route vers Ravns Storø pour aller à
la découverte d'un village abandonné par des pêcheurs des Îles Faroés.
Demain, nous ferons route vers Nuuk où une civilisation devrait nous
accueillir avec une connexion Internet, un téléphone public, une douche, un
épicier et peut-être même une boutique de sport qui me permettra de
trouver ce qui manque à mon équipement pour me tenir plus au chaud. Parce
que plus on monte vers le nord… plus j'aurai besoin de me couvrir moi qui a
déjà très froid!

lundi 13 août 2012

=?utf-8?Q?quart de nuit glac=C3=A9e?=

Quand Jean m'a tiré du lit, je n'y croyais pas. J'étais confortablement
installée dans mon sac de couchage, comme dans un cocon, zippée jusqu'au
menton, j'avais enfin bordé le collet autour de mon visage d'une façon
quasi parfaite pour y conserver toute ma chaleur. J'avais l'impression d'
être réveillée depuis seulement quelques minutes mais en fait j'y rêvassais
depuis deux longues heures et là, il fallait me lever pour retrouver le
cockpit. Triste.

À l'extérieur, Jean m'attendait avec 25 nœuds de vent et deux ris à
prendre. Un ris dans le génois et un second dans la Grand-voile. Manœuvres
à mi-éveillée. Au même moment où Jean, à l'avant, me fait signe de choquer
la drisse, une vague énorme l'a atteint sur le pont. Béate devant ce
spectacle, prise au piège par la lenteur de mon esprit fatigué, n'imaginant
pas la suite, la vague me rejoignait aussi rapidement par le pont à
tribord. Bottes, gans et salopettes pleines d'eau, maintenant bien
réveillée, c'est saisie par le choc que j'ai commencé mes manœuvres.

En voyant Jean revenir dans le cockpit tout trempé, j'étais embêtée par mon
état mais vu sa situation, j'ai oublié le projet de me faire bouillir une
chaude chicoré. Bientôt glacée, j'ai écouté Jean me donner ses instructions
précises. Nouvelle tâche assez préoccupante à l'approche du Groenland; voir
aux bourguignons et aux icebergs. Nous sommes définitivement dans une zone
très dangereuse. « Ok Jean, mais qu'est ce que ca fait un bourguignon à
part de m'ouvrir l'appétit? » Les bourguignons sont les petits de l'
iceberg, des dangereux glaçons qui devraient nous apparaitre par troupeaux
et qui pourraient même faire une voie d'eau s'ils venaient à percuter la
coque. En réponse à ma question quant à leur taille, Jean y est allé d'une
comparaison aussi insolite qu'inattendue « C'est gros comme une petite
voiture » en terminant avec « et ca va avancer très vite avec ce vent, donc
si t'en aperçois, tu vires pour éviter. »

Perplexe et congelée, j'ai entamé mon quart à la barre en ayant retenu le
nécessaire : je verrais ces bour-gui-gnons, gros comme des petites
voitures, foncer sur nous par tribord… humm. J'ai alors balayé des yeux la
zone dangereuse et bien visible à cette heure là; une superficie jusqu'à
environ 2 miles nautiques au nord et ce sur le prochain mile devant.

J'ai vu des vagues se casser à tout rompre sur la coque et sur le pont, j'
ai vu le bateau refuser de rester en travers du vent, j'ai vu l'anémomètre
monter à 27, j'ai vu des tons de turquoise apparaître dans la crête des
vagues avant de voir les vagues se casser sur elles-mêmes, j'ai enfin vu le
soleil se lever dans une mer moins agitée, j'ai vu bien des vagues mais
rien en elles ne pouvait ressembler ni à une voiture, ni a un quelconque
glaçon.

Malgré mon état d'hypothermie avancée, j'étais heureuse de laisser l'
équipage petit-déjeuner pour m'assurer un relai disposé avant de rentrer
manger et faire un cocon de moi sur ma bannette. Après 5h au poste à
grelots, j'ai mis enfin mes mains près du feu et fait bouillir l'eau pour
ma chicorée… J'appréciais de retrouver les sensations au bout de mes
doigts, pareil aux picotements qu'on ressent après quelques descentes de
trop en ski. Je me disais que ca me prendrait tout un glaçon pour me faire
ressortir à l'extérieur.

Devant le poêle, j'entendais Antoine rigoler depuis l'extérieur et me
lancer : « Mylène, t'as pas vu la terre? »

Antoine donc, maintenant Fanny, et ensuite Jean, tous dehord à s'exclamer
que le Groenland est grand, que le Groenland est là, que le Groenland est
beau et que je devrais sortir pour voir ça.

Trop occupée à ne chercher que des bourguignons de mes yeux fatigués, j'
avais concentré toute mon énergie aux deux prochains miles nautiques sans
voir plus loin!

Après avoir avalé mon déjeuner en vitesse, je suis ressortie passer la
journée sur le pont découvrir les majestueuses falaises pourpres et
tranchantes qui poignent à l'horizon. Plus tard, je découvrais des dizaines
de petits bourguignon, qui en somme, ont l'air bien moins offensif sur une
mer calme et sereine que dans mes projections mentales sur fond de nuit
froide et de mer creusée par le vent.

dimanche 12 août 2012

Calculs et temps perdu

À défaut de vent ou à fort vent contraire, on choisi souvent de prendre le
taureau par les cornes et de tourner la clé dans le canon pour démarrer le
moteur. Durant ces périodes, je peux enfin tout remettre sur courant
électrique; Ipod, Iphone, téléphone satellite, appareils photo et
ordinateur. Résultat : je suis la seule ici à être heureuse d'entendre
repartir le son des explosions et les mouvements des pistons!

Malgré tout, après avoir écrit, envoyé et reçu mes courriels, lu, mangé,
regardé et relu mes trente messages textes préférés sur le petit écran de
mon téléphone satellite, je me demande bien souvent quoi faire d'autre.

C'est souvent ces moments que j'espère le plus : retrouver l'ennui. Parce
que je ne m'ennuie pas, moi. Non, je ne m'ennuie presque jamais. Et c'est
souvent quand l'ennuie frise à mes lèvres l'envie de se plaindre que je
découvre quelque chose de nouveau, de beau, de différent…

Aujourd'hui, j'observe les vagues. Ce matin et la nuit dernière, c'était
plutôt des murs d'eau, des mastodontes, des monuments que le bateau
embrassait lentement pour aller s'affaisser de l'autre coté, violemment.
Maintenant c'est une mer transformation. Comme le grand vent d'Ouest s'est
tu et qu'un vent du Nord est attendu d'ici quelques heures, la mer se
transforme sous nos yeux. J'essaie donc de comprendre de quelle formation
la houle nous vient et par quel autre système les nouvelles vagues sont
creusées puisqu'elles vont et viennent de toute part et de tous les cotés.

Entre temps, je joue à essayer de deviner dans quelle direction se trouve
l'Espagne, la Barbade, les Acores ou le détroit de Belle-Isle et je vérifie
sur le GPS si je ne me suis pas trompée d'un poil. Je compte et décompte
les 360 degrés qui entourent ma boussole, en soustrais 180 du total pour
deviner le cap que j'aurais à ramer pour atteindre ces destinations.

Je compte les miles nautiques. J'essaie de deviner l'heure de notre arrivée
mardi : matin… midi? Il ne reste que 130 miles nautiques avant la terre
ferme, l'équivalent d'un voyage à la voile Gaspé-Havre-Aubert aux Îles-de-
la-Madeleine. Et 220 miles nautiques avant Qaqortoq, notre premier arrêt.
Je compte la vitesse de coque que me donne le loch, j'y calcule les heures
à venir à moteur en prenant soin de ne pas compter à partir de l'heure de
notre rendez-vous avec le vent, je multiplie le temps fois la distance. Je
compte et lance des chiffres à la volée.

Je regarde les oiseaux voler, j'imagine qu'ils nous observent. J'essai de
les reconnaitre et les différencier, et encore de les compter… Ils sont
entre dix et quinze, ils bougent et se cachent derrière les vagues pendant
que moi je désespère d'en connaitre le produit final.

Le soleil arrive, j'appuie sur « send » et ne me reste plus qu'à aller me
vautrer dans le foc sur le pont avant pour terminer mes calculs et attendre
le vent. Je savoure chaque moment, je n'ai rien d'autre à faire que de
regarder l'océan et me soustraire à la longueur du temps.

jeudi 9 août 2012

Mon passage sur l'Atlantique vers le Groenland

J'éclate souvent de rire quand ca arrive… jusqu'à ce que l'eau se réchauffe
un peu sur ma peau. Depuis que LA grande vague a rempli mon ciré, il y a
quelques jours, le confort est devenu bien relatif. Alors, quand l'océan me
lance un embrun au visage, je ris que le sel goute bon.

Durant la première semaine de transat, j'avais rarement été seule et heureuse
en même temps. La mer m'arrachait systématiquement tout ce que je tentais d'
avaler et provoquait en moi un malaise et une nausée persistante et aussi
grosse que la mer à l'extérieur. Ce mal de mer faisait de moi une larve
humaine. Malgré mon état lamentable, je persistais à faire mes quarts et à
aucun moment j'ai douté d'avoir affaire ici.

À l'ouest de l'Irlande, un système dépressionnaire résistait à notre
progression vers l'ouest. Comme s'il s'était stationné sur notre position, ce
système nous a offert plus de 72 heures de vents forts avec des rafales
avoisinant les 40 nœuds, en plu d'une navigation difficile au près serré, il
nous a transporté dans un moment qui semblait appartenir à l'éternel. Après
quatre jours de gite et d'embruns, à l'intérieur de Namasté, c'était assez
chaotique.

Régulièrement, lorsque le bateau quittait une crête pour atteindre un creux
plus bas, je me réveillais un moment en apesanteur et le moment suivant
pulvérisée avec un tel choc sur le matelas de ma bannette ou sur le bois l'
entourant.

Dans ces moments de haute voltige, il m'arrive de penser à mon ami Pierrot.
En apprenant que je ferais partie de l'équipage pour traverser l'Atlantique à
la voile de la France au Québec en passant par le Groenland, j'avais trop
souvent cassé les oreilles de mon colloc adoré en gambadant dans le loft et
en criant à tue tête « Groenland, Atlantique, je vais être en mer six
semaines… six semaines, six semaines, six semaines, Gro-en-land, Gro-en-land,
Gro-en-land!!! »

Ces trois derniers jours ont étés plutôt tranquilles. Le vent s'est calmé des
fois à presque néant nous obligeant à sortir la voile Volvo 4 temps entre nos
navigations sous spi ou entre nos allures de grand-largue. Depuis, des
rafales de vent ont dicté au spi de retrouver sa chaussette et nos fichiers
météo nous ont annoncé une autre basse pression. D'ici quelques heures, et
c'est déjà commencé, le vent se mettra à souffler depuis notre direction; le
Nord Ouest. Avec que 500 miles nautiques à parcourir avant d'atteindre le
Groenland, je crois que l'océan devait nous en faire voir un peu plus.

Une chose est certaine en tout cas pour mon quart la nuit prochaine; je vois
déjà quelques éclats de rire et des embruns.

jeudi 28 juin 2012

En route vers les Îles!

En montant dans l'avion, fidèle à mon habitude, je m'absorbais à la lecture d'un bouquin pour tenter d'ignorer le décollage. Quelques minutes plus tard, j'aperçus le Saint-Laurent sur bâbord, après quoi je suis restée rivée à mon hublot durant les trois vols successifs; jusqu'à Québec, de Québec à Gaspé et surtout, au-dessus du golfe, de Gaspé aux Îles-de-la-Madeleine. J'étais loin d'imaginer qu'un simple vol me permettrait de reprendre contact avec la nature et l'aventure que me réservent les prochains mois.

En apercevant l'étroite voie maritime au centre du Lac Saint-Pierre, j'y distinguais de petits bateaux de pêche et d'imposants cargos s'enfiler entre les bouées. En survolant le fleuve, j'ai repensé à tous les arrêts que j'ai faits le long du Saint-Laurent lors de ma traversée à la rame en solitaire; Sorel, Trois-Rivières, Batiscan, Portneuf et Québec. Lors de chaque escale, j'avais découvert la fraternité des gens du fleuve et l'immense fierté qu'avaient ses usagers à le côtoyer et le connaitre. En voyant l'ile d'Orléans, Montmagny, Saint-Jean-Port-Joli, Kamouraska et Rivière-du-Loup, je me suis souvenue très concrètement de la couleur de l'eau, de sa faible profondeur, de l'imposante marée, du mélange d'eau salée à l'eau douce et de la vie marine qui se faisait de plus en plus présente. Je me suis aussi remémoré les nombreuses visites de bélugas, de loups-marins, cétacés et marsouins.
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Lors de ma visite à la Station exploratoire du Saint-Laurent de Rivière-du-Loup l'été dernier, j'avais été étonnée d'apprendre que le gouvernement avait encouragé activement la chasse aux bélugas durant les années 30. Par présomption de culpabilité, des milliers de bélugas ont disparu. Le cétacé était accusé d'engloutir d'importantes sommes de morues, il était donc tenu responsable de la chute des prises de pêche jusqu'au jour ou une étude à propos de ses habitudes alimentaires a pu faire le point et démontrer l'erreur monumentale. Aujourd'hui réduite à tout près de 1000 individus, plusieurs s'inquiètent du sort de notre baleine emblématique à cause des pressions constantes qu'elle subit; ingestion de contaminants toxiques et pollution par le bruit. Je m'étais souvent sentie privilégiée de les côtoyer par dizaines entre Kamouraska et Tadoussac.

Après Tadoussac et Trois-Pistoles et autour de Rimouski, Matane, Sainte-Anne-des-Monts et Rivière-au-Renard, j'avais continué d'apercevoir d'autres types de baleines tout au long de mon parcours.

À L'Anse-à-Beaufils, j'étais morte de peur de quitter le continent pour traverser le golfe vers les Îles-de-la-Madeleine, seule dans mon bateau à rames. Je n'étais pas angoissée à propos du défi et des difficultés potentielles auxquelles j'allais faire face... Comme une promise à la vielle d'un mariage arrangé, j'étais inquiète de savoir si j'allais aimer ces jours seule avec moi-même. Plus tard, j'étais ravie d'apprendre que si j'aimais être seule avec mon embarcation, j'aimais aussi l'aventure avec le golfe, la nature, les mammifères, les vagues et les conditions difficiles.

Pour la première fois cette année, je suis arrivée aux Îles-de-la-Madeleine par avion, un bolide solide qui a touché terre après quarante petites minutes de traversée. Si on veut comparer à mon défi de l'été dernier, il m'aura fallu près de neuf jours de rame en solitaire pour atteindre la même cible. Depuis le siège 3A, je repensais à ma rencontre avec les dauphins nageant dans un banc de planctons phosphorescents illuminant la coque de mon embarcation durant la nuit. Avant d'atterrir, j'ai pu distinguer la couleur des sables, l'eau turquoise, la morphologie des berges et ses caps érodés en arrivant près de l'archipel. À l'extérieur, une odeur salée m'accueillait et me rappelait l'importance de conserver nos milieux marins en santé.

mercredi 14 mars 2012

Persévérance

Avec tous les efforts menés jusqu’ici depuis les balbutiements de mon projet en 2008, je comprends bien maintenant ce qu’est la persévérance; la constance et la résistance dans l’effort pour continuer d’avancer vers l’objectif convoité malgré les obstacles et les embarras qui se dressent sur la route. 

À l’assaut de mon vélo, le 4 décembre dernier, je passais le pas de ma porte, mon casque à la main, souriante. Quelques secondes plus tard, après quatre enjambées à peine, une bête chute m’envoyait au tapis. À l’instant même où mon avant bras percutait le sol, j’ai senti sous l’impact de ma chute l’os se morceler. Mon bras, déformé requérait des soins et moi, contrariée, ne pensais qu’à la traversée de l’Atlantique à la rame!

Après quelques jours à l’hôpital et un passage en salle d’opération, je me suis retrouvée sept semaines immobile et bien sage, le bras emprisonné dans un plâtre. Durant deux mois, je me pouvais répondre à la question fatidique à savoir si mon bras allait être prêt au mois de mai pour me permettre de ramer avec rigueur 100 jours durant. Lorsqu’on m’a libérée de l’accoutrement barbare qui gardait mon bras prisonnier, je me suis sentie étrangère à moi-même comme si ce membre ne m’appartenait plus, ne répondant plus à la moindre commande. Depuis fin janvier, je travaille à réadapter mon bras atrophié afin de lui redonner sa forme, sa force et ses fonctions. 

Pour fournir au projet une sécurité maximum, je dois pouvoir m’accomplir à 110% et ne dépendre de personne physiquement. Aujourd’hui, j’ai encore besoin d’assistance pour ouvrir un vulgaire pot de moutarde! En cas d’urgence durant l’expédition, les procédures exigeront que je sois capable de soulever une charge de 80 kg et à l’heure actuelle, même après le travail de réadaptation, c’est un exercice complètement irréaliste. En suivant le progrès actuel, je peux espérer retourner à la rame modérée en avril ou mai. 

Je choisis donc de reporter mon expédition à mai 2013. 

Pourquoi douze mois de plus? Parce que mon départ nécessite une toute petite fenêtre météo de deux semaines quelque part entre la mi-mai et la mi-juin pour me permettre de partir sur l’océan à la vitesse qu’impose mon bateau. Même si mon bras s’avérerait prêt en juillet, l’océan, lui, ne me laissera plus passer.
Ces douze mois supplémentaires vont contribuer à me préparer davantage. En ayant profité de l’été 2011 pour me mettre au défi en m’entraînant avec mon embarcation, j’entends exploiter l’été suivant à parfaire mon entraînement comme navigatrice. Je vais donc partir rencontrer l’océan et naviguer avec un équipage à bord d’un voilier. Six semaines sur les eaux froides et tumultueuses du nord de l’Atlantique vont servir d’une préparation optimale et encore plus adéquate. Quand je pense à toute l’expérience acquise l’an dernier en ramant de Montréal aux Îles de la Madeleine, je n’ose imaginer l’expérience que j’irai chercher entre la France, le grand-nord et le Québec durant six semaines de voile sur l’océan convoité depuis si longtemps. Cette nouvelle expérience viendra consolider mes chances de réussites pour ma propre expédition. 

La résilience permet d’être plus persévérant, de se réajuster et de tirer parti de chaque situation. Je crois avoir la capacité de bien rebondir et de voir les choses de façon positive même durant les moments difficiles. De remettre à l’an prochain ne m’attriste plus, je sais que je vais réussir, ce n’est qu’une question de temps.